Pourquoi avoir choisi le cheval comme moyen de voyager ?
Par goût, par défi, par clin d’œil à Montaigne qui adorait passer ses journées «le cul sur la selle». Et
surtout pour le caractère intempestif d’une telle équipée. Ne rentrant dans aucune case, n’obéissant pratiquement à aucune réglementation, ne faisant l’objet d’aucun guide ni étapes prédéfinies, le voyage à cheval réintroduit l’aléa dans un monde trop normé et fait émerger autour de soi la curiosité, la spontanéité, la générosité.
Le voyage à cheval, seul, en autonomie, ne s’improvise pas : comment vous êtes-vous préparé pour une telle aventure ? Avez-vous trouvé une réelle expertise autour du tourisme équestre ?
En effet: je me suis préparé pendant six bons mois à l’écurie d’Alice et Antoine Castillon, à La Pommeraye
(Calvados). J’y ai appris non seulement des techniques comme la maréchalerie, la bourrellerie, le matelotage, les soins vétos etc., mais surtout une manière d’aborder le cheval comme un compagnon de route et de savoir prendre son temps. Mais je ne crois pas beaucoup à l’expertise et aux formations officielles: le «tourisme équestre» s’apprend essentiellement… en le pratiquant. Sur la route, j’ai passé mon temps à bricoler mon matériel et à expérimenter de nouvelles méthodes.
Vous n’étiez pas du tout cavalier avant ce voyage, quel regard portez-vous désormais sur le voyage à cheval ? En quoi est-il différent de celui que vous portiez avant votre départ ?
J’étais cavalier de manège. Donc en effet, pas vraiment cavalier.
Après cette expérience, faire des ronds sur le sable ne m’intéresse plus du tout. La randonnée vaut tous les cours de dressage: ma plus belle pirouette, je l’ai réalisée en faisant un demi-tour forcé entre une nationale et une voie TGV…
Vous parlez beaucoup d’humanisme, quelles autres valeurs êtes-vous venu chercher ?
Comme Montaigne, je savais ce que je fuyais, pas ce que je cherchais. Ce qui m’est apparu finalement, c’est l’immense valeur de la simplicité, à la fois comme dépouillement matériel et affectif, et dans mes rapports avec mes hôtes. Vertu stoïcienne partagée par Montaigne…
Qu’avez-vous appris concernant la relation de l’Homme avec le cheval ?
Il ne faut surtout pas la forcer, ni plaquer sur l’animal nos propres affects. Au fil des mois bien sûr, on apprend à mieux communiquer avec lui. On se comprend, on passe des compromis, on forge des souvenirs communs. Mais comme le chat, le cheval reste foncièrement indépendant. De retour au pré, il partira gambader en nous tournant le dos. C’est la plus belle leçon qu’il puisse nous offrir.
Quel parallèle peut-on faire entre le monde à l’époque de Montaigne, et notre monde moderne ?
Montaigne traversait une Europe en proie aux guerres civiles et aux épidémies. Toute sa démarche consiste à cultiver son moi profond, son « arrière-boutique » comme il dit, pour rester sain d’esprit parmi les vicissitudes de son temps. Il nous apprend la tempérance et l’équanimité, si précieuses à une époque où les opinions se polarisent en un clin d’œil sur les réseaux sociaux.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre livre qui paraît début septembre ?
C’est un récit de voyage agrémenté de réflexions esthétiques, philosophiques ou carrément politiques, dans l’esprit de cette écriture « par sauts et gambades » qu’affectionnait Montaigne. Je n’ai pas voulu échapper à la modernité, mais au contraire me donner les moyens de mieux la comprendre, à travers un changement radical de perspective. J’ai croisé sur ma route les questions de l’antispécisme, du nucléaire, de l’islam, de l’autonomie locale, de la transition écologique… Au rythme du pas, nombre de mes idées ont été remises en cause. N’est-ce pas tout l’intérêt du voyage : revenir différent ?
Article extrait de l’Estafette 150
Crédit photo intro©Elodie Gregoire